Écrans

Ici des textes publiés aussi sur des réseaux sociaux, des sites amis, dans des livres pour iPad— la circulation comme expérience de maturation des textes.

un homme au musée

 

Je veux remercier, ici devant vous aujourd’hui, l’anthropologie contemporaine de s’occuper enfin de l’homme moderne. C’est à me faire regretter ne pas être anthropologue moi-même et de n’avoir pas contribué à la documentation de cet objet omniprésent et surtout devenu omnipotent sur, dans et au-dessus de la terre. Le travail n’est pas terminé. Et je me réjouirais d’opérer l’un de ces retournements de représentation nécessaires aux tentatives de saisie de ce spécimen. Chacune d’elles exige encore des tours de force qu’on réalise avec peine. Déjouer le jeu des miroirs et des écrans. Suivre les réseaux des attachements, de l’électricité, du gaz, du pétrole et de l’eau. Oser les comparaisons entre ses modes de pensées, de cuisiner, de prier, de dépenser et de faire l’amour. Renoncer à la pensée universelle. Et plus difficile encore : sortir du jeu de pouvoir qu’impose la publication de ces connaissances. > Lire la suite

fantasques

 

111_ trois voix s’entrecroisent, chacune est aussi chantée par des ensembles de quatre à cinq voix qui disent l’intensité de leurs sensations et la myriade de leurs émotions. Il ne reste que les paroles : plus de partition pour le chant. 100_ 010 _ 001_ des comptines : une ou trois par voix, de celles qui se disent dans un demi-sommeil pour s’endormir ou réordonner le monde à l’éveil. S’y trament les chiffres implacables, les images où tout bascule et le jeu suprême de la langue qui s’accroche aux dents pour ne pas être avalée par la suffocation. > Lire la suite

distorsion (il était temps)

 

Je préfèrerais me taire si j’estimais que cette relation ne pouvait donner espoir à ceux que l’étrangeté de notre époque accable— dont l’un des premiers signes est à coup sûr que les catastrophes s’y commémorent comme des victoires— me plais-je à penser, mais peut-être trop vite— contre un ordre qui s’est arrogé depuis près de deux siècles maintenant une vision exclusive et linéaire du passé, du présent et, pire, du futur. Nous pourrions discuter ici, et certains cercles de ma connaissance ne manqueront pas de le faire, de la nature des phénomènes de boucles par lesquelles des actions de naguère qu’on avait crues prospectives s’avèrent rétroactives, et des causes physiques de tout cela, et des conséquences cosmologiques qui nous arrivent. Mais la mention de l’évènement du 29 août 2015 tel qu’il s’est enroulé, devrais-je dire, à la Nouvelle Orléans, fera sentir plus directement les circonstances inouïes dans lesquelles nous sommes depuis ce jour. > Lire la suite

partition

 

Ouverture en doubles croches ascendantes aux trompettes. Amour. Cet homme est à sa voix ce que cette femme aux fleurs sauvages. Mariage. Elle prend les choses par la racine et se dérobe. Sa quête à lui pour fléchir à l’aide d’instruments les forces contraires et la ramener en surface. Accord bancal dans les tréfonds. Ça dissone. Il échoue à lui parler sans la regarder. Mille fins imaginées. Dont deux par Monteverdi : le pouvoir de la beauté mesurée élève le héros en pleine lumière, où il la retrouve, elle, mais pas elle, en simulacre. Ou bien. Les prêtresses de la puissance folle le disséminent pour toujours en fleurs sauvages, en roches sauvages, en écume dans l’océan sauvage, en tempêtes vives dans les méandres sauvages des vents sauvages et l’opéra s’ouvre enfin sur le ciel et la terre— version qui n’a plus de partition pour être jouée ni chantée. Restent les mystères sur les murs silencieux de Pompéi.

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sinking

 

C’est là. C’est là le rendez-vous. Même ici on dit comme ça. C’est là qu’ils lui ont dit de venir, sur l’ancienne L A One. Là où la route s’enfonce. C’est l’impression qu’on en a quand on arrive de la highway. Grand arc gris qui courbe l’horizon, qui tourne, et qui plonge au moment où le goudron s’éclaircit avec sa double bande jaune au milieu. Mais c’est l’eau qui monte, tout le monde le sait. Les Indiens, les Cadiens, each one. C’est ce qu’on lui a dit à Port Fourchon, plus haut, au carrefour qui mène aussi à Grand Isle. Nuances d’acier et d’oil à peine mobiles. L’eau douce qui se sale. On en parle ici. All landscapes are vanishing. > Lire la suite

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