Mais qui est Platée ?

 

© Frédéric Blaimont pour À bout de souffle, 2010

© Frédéric Blaimont pour À bout de souffle, 2010

Une nymphe batracienne qui s’y croâ… Elle est laide, parle mal, mais ne doute pas de son charme. À preuve : elle cherche ses amants parmi les rois, sur terre ou dans le ciel.

Une rainette des marais aveuglée par l’image de soâ… Lorsque Jupiter lui apparaît sous la forme d’un hibou, elle y voit l’image de l’amour !

Une reine d’apparat qui rate son destin tragique… Elle rêve des désordres de la passion mais ne sait qu’agencer son mariage.

Une grenouille qui sert d’appât… Au désir effréné de Jupiter, à la jalousie déplacée de Junon, au rire des spectateurs, pour la joâ de tous…

Illusions comiques
Le prologue nous l’annonce : c’est sous la protection de Bacchus que se place cet opéra. Momus, son serviteur et dieu de la satire, ordonne avec ivresse la fable qui va nous être comptée. Comme Amour et Folie sont de la partie, le spectateur ne sait plus où donner de la tête – ni de l’oreille…

Là tout n’est que désordre et ridicule
Bassesse, bruit et vanité !

La Folie prend la place d’Apollon, le dieu de la satire prend les traits de Cupidon, Jupiter se métamorphose en âne, une grenouille rend jalouse une déesse, les chœurs sautillent en rondes batraciennes, l’opéra se fait ballet, un ténor joue la nymphe lymphatique…

« Formons un spectacle nouveau »
Lorsque Rameau compose, en 1745, son opéra bouffon, il puise dans la tradition de la grande tragédie et de la non moins grande comédie du siècle précédent, mais pour en détourner les codes. Ici, pas de larmes apitoyées ni de rires francs.

Ce nouveau spectacle, c’est celui de la dérision, où le sel du rire se mêle à l’amer de la cruauté. Personne n’en réchappe, ni les grands ni les petits, ni les laids ni les beaux : tous sont ramenés à la mesquinerie de leurs sentiments trop empreints de calculs. Ne reste que le plaisir du spectacle lui-même, avec sa folie et son ivresse d’un instant.

Tout les effets spectaculaires sont de mise, et tant mieux si on en voit les ficelles : deus ex machina, métamorphoses, travestissements, chœurs désordonnés, voix de caractères, cris batraciens. Le spectateur est forcé de se soumettre aux excès du spectacle et de la musique, où l’harmonie est confuse, chargée de modulations croassantes et de dissonances charmeuses. Plus d’ordonnancement, plus de calcul : la folie de la scène donne pour un instant aux spectateurs l’occasion d’un désordre passionnant.

Quoi d’étonnant, alors, que Louis XV ne goûtât point le spectacle donné pour le mariage du dauphin ? C’est bien l’esprit moderne qui souffle ici, celui qui fait des grands comme des petits des marionnettes égales dont on peut rire à loisir, pour se divertir de la misère d’un monde qui ne croit plus à l’ivresse. Le rire inextinguible des dieux est maintenant celui des spectateurs…

 

 

Texte passé par  la plaquette de présentation et le programme de Platée, À bout de souffle, Théâtre Jules-Julien à Toulouse en 2010 et à Odyssud à Blagnac en 2012.

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