mot de la zone : sentiment géographique

Banlieue braconnière

 

Il y a une grande cour derrière le bâtiment. Un jardin potager enclos par des poutres— soucis et marguerites devant la haute palissade de béton. Derrière, un hôpital et la cité envoient leurs sirènes récurrentes aux banlieues sans pavillon.

Dans la cour, des enfants— jour d’anniversaire sûrement. Un jeu collectif les oppose en deux camps— ils sont dix ils sont quinze et quelques parents, les pieds dans la poussière d’une terre ouvrière. Au vent du printemps une effluve de boulon une odeur de vidange traversent l’interdit de la ferraille en tas.

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Place d’Arménie

 

Place d'Arménie, Toulouse © Sophie Léo

Place d’Arménie, Toulouse © Sophie Léo

 

Place d’Arménie les papiers volent sous le vent de l’oubli. Souvenirs en volutes dans la poussière de la ville. Gros grain dans l’œil à ne pas voir— à ne pas voir là, les trois visages à ton pied. Ta semelle sur la place à peine trace l’espace que les trois regards plaquent tes pas aux égouts de l’histoire.

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Défense 3000

 

Un jour la Défense en ruines traces des monumentales absentes. On y arriverait après une longue marche depuis les restes de l’arc de triomphe ou depuis les récits des noms place de la Concorde. Peut-être que le Louvre n’existerait plus ni les Sabines de David. On marcherait jusqu’au souvenir encore solide mais lointain de la Grande Arche. De l’esplanade surgiraient des pans de verre et de béton armé, qui en gris, en bleuté, en nacré, avec des volutes d’acier ou de téflon hautes encore recelant naguère des ascenseurs montant et dévalant les 848 m des tours disparues en bribes. Les twins de Norman Foster, on verrait leur trace au sol, et quelques poutrelles d’acier s’élevant encore à quelque centaine de mètres. On les prendrait pour celles de New York. On mêlerait leur disparition parmi les affres du XXIe siècle. On aurait vu des fragments de Play Time, sans plus connaître le nom du réalisateur. Ces images derrière les yeux, on complèterait peut-être tout le verre disparu, les reflets, la transparence des bâtiments et les plateaux dévolus à la fonctionnalité maximale.

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Il a dit

 

Il a dit l’odeur de la ville
une sauce grasse de hamburger

Il a dit si tu regardes en l’air les gens te bousculent

Il a dit le seul endroit pour se poser c’est au milieu d’une avenue sur une chaise et les voitures passent devant et derrière toi, et c’est là qu’il est

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Honk Kong et les deux infinis

 

Couverture outside

Michael Wolf, Hong Kong Inside Outside, 2 livres en coffret, 352 pages, Peperoni Books, 2009

Que le visiteur contemple donc la ville entière dans sa haute et pleine densité, qu’il éloigne sa vue des objets bas qui l’environnent. Qu’il regarde cette brumeuse lumière, mise comme un néon éternel pour éclairer la baie des Perles, que la fenêtre allumée de son hôtel lui paraisse comme un point au prix de l’intensité dégagée par l’immeuble entier et qu’il s’étonne de ce que cette intensité elle-même n’est qu’une pointe très délicate à l’égard de celle que les enseignes qui constellent la skyline dégagent. Mais si notre vue s’arrête là, que l’imagination passe outre ; elle se lassera plutôt de concevoir, que Hong Kong de fournir. Tout ce monde visible n’est qu’un trait imperceptible dans l’ample sein de l’agglomération. Nulle idée n’en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n’enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin, c’est le plus grand caractère sensible de la toute puissance du Capitalisme, que notre imagination se perde dans cette pensée.

Que le visiteur, étant revenu à soi, considère ce qu’il est au prix de ce qui est ; qu’il se regarde comme égaré dans cette région de Canton détournée de la nature ; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j’entends l’agglomération toute entière, il apprenne à estimer les territoires, les quartiers, les immeubles et soi-même son juste prix.

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© zone claire 2015